2e jeudi du mois de 9 h à 13 h (salle du conseil A, R -1, bât. Le France, 190-198 av de France 75013 Paris), du 8 novembre 2012 au 11 avril 2013.
Ce séminaire de l’équipe SOGIP (ERC 249 236, IIAC-LAIOS) examine les perspectives ouvertes par l’adoption en 2007 de la Déclaration des Nations-Unies sur les Droits des Peuples autochtones. En constituant un nouveau sujet du droit international à la fois en deçà et par-delà des États nations constitués, la Déclaration élargit la réflexion sur les déclinaisons du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (autodétermination, autonomie, consultation, participation aux prises de décision). Sa mise en œuvre interroge les contextes politiques et juridiques, globaux ou locaux, ainsi que l’histoire de la relation inégale qui s’est nouée entre peuples autochtones et États. En étudiant la circulation des normes internationales, les manières dont elles sont appropriées, respectées ou contournées, les débats et mobilisations qu’elles suscitent, nous interrogeons les conditions de possibilité et les formes d’une autonomie politique. La reconnaissance globalisée des peuples autochtones pèse-t-elle sur leurs projets de société aujourd’hui ? Comment ?
Ces interrogations nous invitent à examiner les « nouvelles pratiques » (de présence dans les institutions « officielles », de re-constitution des institutions autochtones) qui se dessinent dans leur rapport avec les Etats comme avec les acteurs économiques globalisés, ainsi que les modalités d’expression de soi dans un espace qui ne se limite pas au territoire de la communauté. Chaque séance sera le lieu d’une comparaison entre des configurations nationales et des situations distinctes examinées du point de vue ethnographique, afin de dégager les enjeux et les impacts de la Déclaration, grâce à la présentation d’études de cas, suivie d’une discussion critique.
Séance du 8 novembre 2012 : Participation des peuples autochtones à la prise de décision
La question de la participation des peuples autochtones à la prise de décision sur les affaires qui les concernent, a été posée à l’issue de l’adoption de la Déclaration qui établit le « droit de participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits, par l’intermédiaire de représentants qu’ils ont eux-mêmes choisis conformément à leurs propres procédures, ainsi que le droit de conserver et de développer leurs propres institutions décisionnelles » (DPA, art.18). Elle fait l’enjeu de débats sur les scènes internationales (par ex. au Mécanisme expert à Genève) comme sur les scènes locales. Nous nous intéressons à la forme de ce débat et aux enjeux qu’il revêt dans le contexte de la construction d’une autonomie ou d’une autodétermination.
Qu’entend-on par « prise de décision » et comment les peuples autochtones participent-ils ? Quels sont les thèmes qu’ils souhaitent contrôler, qui les concerneraient, directement ou exclusivement ? Existe-t-il des (types de) dispositifs ou des espaces auxquels ils doivent recourir pour affirmer cette intentionnalité ? Comment cela fonctionne-t-il ? Y a-t-il lieu de distinguer « pratiques étatiques » et « pratiques autochtones » ? Quel est le sens de cette distinction et comment l’interpréter dans une étude des échelles du pouvoir ? Quelles sont la portée, générale ou spécialisée, l’échelle d’intervention ou d’action, et la territorialité des institutions décisionnaires : celles pesant sur les populations autochtones, celles construites par les autochtones ?
Introduction d’Irène Bellier, Approche critique de l’étude des Nations Unies sur la participation des peuples autochtones à la prise de décision
Benoît Trépied (CNRS/CREDO, LAIOS-SOGIP), Élus politiques et représentants coutumiers : quelle(s) place(s) pour les Kanak dans les institutions postcoloniales de Nouvelle-Calédonie ?
Cet exposé reviendra sur la question des fondements de la légitimité politique kanak en Nouvelle- Calédonie contemporaine. Ce territoire français du Pacifique Sud en voie de décolonisation compte en effet deux types de porte-parole kanak tendanciellement concurrents en son sein : d’une part les élus politiques légitimés par le suffrage universel, qui sont aussi des leaders nationalistes engagés dans le militantisme partisan en faveur de l’indépendance ; et d’autre part les responsables « coutumiers » reconnus par l’Etat français à divers échelons (« chefs de clan », « petits chefs », « grands chefs », bureaux des « aires coutumières », « sénateurs coutumiers »), qui mobilisent volontiers localement le registre des droits autochtones construits sur la scène internationale. Après avoir rappelé la façon dont ce clivage majeur entre la figure de l’élu kanak et celle du coutumier s’est constitué au fil du temps, nous examinerons les enjeux que soulèvent aujourd’hui les modalités de leur participation aux prises de décision politiques.
Jennifer Hays (LAIOS-SOGIP) - La prise de décision pour les San de la Namibie : concilier la tradition et l’histoire avec les demandes de la politique moderne
Les San, peuple autochtone de la Namibie, forment traditionnellement une petite société égalitaire de chasseurs cueilleurs, dont les décisions concernant le groupe sont prises par consensus. La loi namibienne, aujourd’hui, reconnaît des autorités traditionnelles, lesquelles sont choisies par leurs peuples pour les représenter. Bien que les San aient droit à ce mécanisme de reconnaissance d’autorités traditionnelles, les normes décrivant les processus de choix des dirigeants et définissant leurs rôles vis-à-vis de leurs communautés, sont basées sur les structures de leadership hiérarchique des groupes dominants. De facto, la capacité des dirigeants San à représenter les intérêts de leur peuple est limitée par des facteurs culturels, historiques, politiques, sociales et économiques. Au niveau gouvernemental, une Division de Développement San a été mise en place dans le Bureau du Premier Ministre, afin d’intégrer les San dans l’économie nationale. En explorant, les deux termes de cette représentation politique, celle dite "traditionnelle" et celle dans le gouvernement namibien, la présentation donnera un aperçu des limites de la capacité des communautés San en Namibie, à participer aux processus de décision dans les affaires qui les concernent.
Laurent Lacroix (LAIOS-SOGIP)– Consultation et prise de décision en Amérique latine. Réflexions à partir du conflit du TIPNIS,
Bolivie.
Depuis quelques mois, un conflit d’une rare ampleur oppose l’Etat plurinational de Bolivie aux principales organisations autochtones du pays. Un projet de construction d’autoroute devant traverser le Territoire Indigène et Parc National Isiboro Securé (TIPNIS) est au cœur de la controverse, chacune des étapes du processus de consultation mis en place étant sujettes à la polémique. Important de par sa résonnance au niveau international mais aussi de par ses effets et ses répercussions pour chacun des acteurs impliqués, ce conflit nous invite à interroger les modalités d’application et la signification effective du droit à la consultation et au consentement des peuples autochtones en Bolivie et plus largement en Amérique latine.
Séance du 13 décembre 2012 : Le développement « avec culture & identité » en questions : une problématique autochtone ? Réflexions croisées autour d’études de cas au Chili, au Cameroun et en Nouvelle-Calédonie.
La question du développement est centrale dans le contexte onusien, et se pose à nouveaux frais depuis la définition des Objectifs de Développement du Millénaire, pour ce qui concerne les peuples autochtones. Dans le cadre de l’adoption de la Déclaration et des mobilisations des peuples autochtones contre des projets affectant directement leur survie, le concept de développement autodéterminé a été formulé. On s’interrogera ici sur le paradigme du développement « avec culture et identité », appelé aussi « développement avec identité » ou encore ethno-développement selon les régions. Comment ce concept a-t-il été élaboré, pensé, diffusé, mis en pratique au niveau local ? Quels sont ses effets et ses limites ? Peut-on tirer un bilan des expériences présentées ? Il nous intéresse de connaître la position des peuples autochtones ayant développé ce type de projets ainsi que les modalités de mise en œuvre, de discuter des conflits de représentation qui peuvent surgir sur la notion même de développement. Nous nous interrogeons en particulier sur la manière dont ces expériences sont prises en compte par les organismes internationaux qui ont promu le « développement avec « culture et identité » ou qui financent les projets de développement (Banques, ONGs) ?
Guillaume Boccara (CNRS, CERMA-EHESS), L’ethno-développement "adoucit les moeurs". Réflexions sur le programme Origenes (Chili) comme modèle antipolitique.
Céline Germond-Duret (Université Liverpool John Moores), Projets de développement et représentation des peuples autochtones
Jean-Michel Sourisseau (CIRAD), Autochtonie et émancipation en Nouvelle-Calédonie. Les enjeux du développement de la province nord
Séance du 10 janvier 2013 : Les questions de savoirs et de droit dans l’institutionnalisation internationale des autochtones
Le savoir des autochtones et sur les autochtones est un enjeu tout autant qu’un élément de confrontation dans les sphères universitaires, politiques et juridiques. Comment est-il reconnu et à quoi renvoie la notion de savoirs autochtones ou locaux ? Comment ces savoirs sont-ils construits et comment circulent-ils ? En nous fondant sur l’idée de Clifford Geertz d’une concurrence des savoirs, et sans négliger la relation au pouvoir, nous interrogeons les formes d’articulations entre régimes de savoirs et de connaissances, au plan théorique et au regard de différents types d’expériences. Dans la perspective SOGIP des échelles de gouvernance, nous explorons plusieurs sites de rencontre qui seront prétextes à réfléchir sur : - la participation et l’institutionnalisation des peuples autochtones ; - le rôle des Etats dans les processus de reconnaissance, de valorisation ou de patrimonialisation ; - la manière dont les savoirs locaux et autochtones sont reconnus, protégés ou promus par les organismes internationaux ; - les accommodements relatifs auxquels donne lieu les négociations entre Etats, organismes intergouvernementaux et représentants autochtones.
Veronica Gonzalez (LAIOS-SOGIP)– Les organismes spécialisés de l’ONU face aux problématiques autochtones. Les cas de l’OIT, l’UNESCO et la FAO (1919-2012)
La contestation des activités des organisations intergouvernementales en matière autochtone –notamment les activités de la Banque mondiale dans les territoires autochtones - et le contenu assimilationniste de la Convention 107 de l’OIT, ont été, pendant les années soixante-dix, un élément important qui a poussé le mouvement autochtone à s’immiscer dans les débats sur les problématiques autochtones qui avaient été amorcés, sans lui, au début du XXème siècle à la Société des Nations. Nous proposons une analyse de la relation établie entre les institutions internationales et les organisations autochtones depuis près d’un siècle, à partir de quelques questions : Quels principes ont guidé la réflexion internationale et le dessin d’activités spécifiques ? Quelles modalités ont permis l’intervention des représentants autochtones ? Comment a été élaboré un agenda autochtone, international ? Quels effets ont suivi leurs initiatives ? Pour ce faire, je considérerai les cas de l’OIT, de l’UNESCO et de la FAO qui font face à un défi de taille : mettre en oeuvre le dispositif de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, assurer la participation des peuples autochtones à cette entreprise ; deux objectifs fondamentaux qu’il leur incombe d’atteindre selon les articles 41 et 42 de cette même Déclaration.
Jennifer Rubis (UNESCO) - Indigenous knowledge and global environmental governance – Understanding why participation and inclusion of diverse knowledge systems is necessary for decision-making on climate
Since the first Earth Summit in 1992 where governments recognized the vital role of indigenous peoples in environmental management and development (Principle 22), we indigenous peoples have mobilized ourselves to engage actively at the international stage. Recognition of the collective rights of indigenous peoples, full and effective participation and the respect for traditional knowledge are among key indigenous demands at intergovernmental negotiations on the environment. Looking at climate change as a specific example and drawing on my own experiences of engagement at different levels, I share why indigenous participation and knowledge are relevant to ensuring that environmental policies, and its implementation, are informed by the best available knowledge.
Stephan Groth (Research Unit on Cultural Property, U.Göttingen) - Perspectives on Traditonal Knowledge : The Involvement of Indigenous and Local Communities in WIPO’s Committee on Intellectual Property and Traditional Knowledge
In 2000, the World Intellectual Property Organization (WIPO) established a committee dealing with intellectual property issues and traditional knowledge (TK), traditional cultural expressions (TCEs), and genetic resources. From the beginning, the effort to include Indigenous and Local Communities (ILCs) was – compared to other international fora – high. Negotiations over the last decade have shown, however, that their influence is only marginal. The views and demands of ILCs and related NGOs have been rhetorically subsumed under negotiation strategies by state actors, often to the disadvantage of ILCs. The paper will examine the frameworks regulating the participation of ILCs at WIPO : what are the implications of ILCs participating in negotiations on intellectual property and traditional knowledge, and which limitations to participation and communicability of concepts exist ? The paper will elucidate the diverging perspectives on TK and TCEs held by actors involved in WIPO IGC debates, coupled with an analysis of terminology and communicative events of the committee. It will examine the multiple perspectives on the substantive issues of the IGC with a focus on the different dimensions of traditional knowledge in the context of intellectual property debates.
Séance du 14 février 2013 : La construction du droit local autour des questions environnementales. Etats-Unis, Maroc/Sénégal/Guyane, Nouvelle-Calédonie
La relation entre les peuples autochtones, leurs espaces de vie et leurs modes de subsistance économique et écologique est au cœur de la Déclaration sans qu’ils disposent de tous les moyens de déterminer en pratique une telle relation, néanmoins posée comme consubstantielle. Dans le contexte d’une prise de conscience planétaire de la nécessité d’un développement durable, cependant limité par la divergence des intérêts économiques, nous interrogeons la place des peuples autochtones, de leurs membres et représentants, et de leurs modes de gouvernance dans les programmes environnementaux. Comment se négocient avec l’Etat et les différents acteurs concernés, les normes de protection et de gestion environnementales ? Les peuples autochtones sont-ils condamnés à s’engager sur la voie de l’essentialisme stratégique pour être entendus et participer tant bien que mal à la gestion des ressources naturelles et culturelles ? Proposent-ils une alternative à l’image du « bon sauvage » gardien des forêts et des écosystèmes ? Les concepts du Bien Vivre et de droits de la terre peuvent-il se réarticuler en dehors des espaces américains qui portent leur énonciation ?
Nicolas Barbier (Docteur en géographie) - Droit américain, terrains d’ententes, conflits et solutions potentielles dans la gouvernance relative à la cogestion des saumons au sein du territoire autochtone des Indiens Nez Percé (Idaho, Oregon, Washington)
Les droits de traité des Nez Percé, associés à des arrêts fédéraux depuis les années 1970 et à la classification d’espèces de saumons dans la liste fédérale des espèces protégées depuis les années 1990, offrent à la Tribu des Nez Percé des opportunités de participation à la cogestion des saumons. De quel type de participation s’agit-il ? Comment le droit américain encadre-t-il le rôle de la tribu et ceux des autres acteurs en termes de processus décisionnel et sur le terrain ? Hormis le droit, de quels autres enjeux la gouvernance est-elle tributaire ? Quelles sont les coopérations américano-indiennes existantes et leurs résultats ? Les droits des Nez Percé relatifs aux ressources de pêche furent rédigés dans le Traité de 1855. Ils furent en partie maintenus dans le second traité (1863) ainsi que dans l’Accord de 1893. Des conflits entre la tribu et les non-Indiens sont principalement entretenus par le processus décisionnel de la gouvernance. Au regard des droits de traité des Nez Percé, ce processus est largement déséquilibré en faveur des Etats-Unis. Quelles solutions, respectant la déclaration onusienne de 2007 et offrant des opportunités réelles de restauration des saumons et de développement des énergies renouvelables, peuvent-être envisagées ? A l’heure actuelle, la Tribu des Nez Percé n’utilise pas la déclaration onusienne dans le but d’étendre ses pouvoirs de cogestion en conformité avec ses droits de traités. Dans quelle mesure une partie du contenu de cette déclaration pourrait rééquilibrer la gouvernance vers un respect accru des droits de traité des Nez Percé ?
Olivier Barrière (IRD)- Le droit de l’environnement face au pluralisme juridique : prospective d’un droit négocié
Le droit négocié définit au sein d’un espace de régulation un syncrétisme de valeurs et de modèles de comportement d’« être » et de « devoir-être » concerté entre acteurs locaux, régionaux et nationaux, pour un droit se situant dans une perspective interculturelle, simultanément légitime aux yeux de la communauté et de la nation. Par cette approche, s’opère ainsi l’idée d’une lecture holistique du droit, sortant d’une définition limitée à la norme étatique pour celle d’une « juridicité » prenant en compte l’ensemble des éléments faisant « droit ». L’enjeu se situe dans la mise en œuvre d’une consubstantialité du droit de l’environnement, qui est de nature scientifique (écologique), à une dimension anthropologique. Cet enjeu nous conduit à entrer dans la régulation de la viabilité des systèmes sociaux et écologiques qui amène à repenser le droit de l’environnement en droit de la coviabilité, une « socio-écologie juridique ». Cette conceptualisation se formalise au sein d’un droit négocié qui est une mise en relation de paradigmes différents, parfois opposés, résultat de compromis.
Des situations et des expériences de terrains au Sénégal, au Maroc et en Guyane nous on permis de commencer à formuler un droit négocié au moyen de conventions locales et de chartes de territoire ou de pactes territoriaux.
Daniel Rodriguez, juge à Koné (Nouvelle-Calédonie) - La justice française « envahie » par l’autochtonie en Nouvelle Calédonie : l’intégration de la coutume kanak dans le système juridique français [sous réserve]
Depuis la création de cette juridiction en 1982, sous le gouvernement dirigé par J.M. TJIBAOU, l’histoire de la reconnaissance du corpus des règles coutumières kanak est marquée par une méfiance de l’institution judicaire calédonienne, qui confine à la négation de cette culture autochtone.
L’accord de Nouméa, en 1998 ; la loi organique du 19 mars 1999 et les avis de la Cour de Cassation (16/12/2005 et 15/01/2007) ont clarifié les débats sur la portée et le champ d’application de la coutume, permettant le développement de l’action de cette juridiction coutumière.
Alors que le transfert des compétences en matière de droit civil et de droit commercial est fixé à juillet 2013, le défi actuel, porte sur la place qui sera accordée à la coutume kanak et la reconaissance des valeurs qui la fondent, alors que certains juristes prétendent vouloir "civiliser la coutume" en l’intégrant au code civil calédonien.
Irène Bellier (IIAC/LAIOS) – Les peuples autochtones et l’économie verte : un aperçu de Rio + 20 et des tensions du Développement.
Séance du 14 mars 2013 : L’instanciation du droit comme distinction et habilitation des autochtones en Amérique latine et en Afrique
À travers trois études de cas, le séminaire s’efforcera de décrypter le fonctionnement et l’importance des institutions judiciaires (nationales, régionales ou internationales) pour la reconnaissance et l’application des droits des peuples autochtones, tant sur le fond (sentences) que sur la forme (procédures et suivi de sentences). Le recours des peuples autochtones auprès des institutions judiciaires, notamment supranationales, permet-il de (mieux) faire appliquer les droits des peuples autochtones ? Quels sont les effets des jurisprudences prononcées en faveur des peuples autochtones sur la définition de ces derniers et de leurs droits au niveau national ? Comment ces jurisprudences circulent-elles et servent-elles de modèles d’une région du globe à l’autre ? Le primat du droit dans la construction onusienne, nous permet de poser la question suivante : les peuples autochtones n’existeraient-ils aujourd’hui que par le droit ? Nous aborderons les termes d’une possible controverse entre sujet de droit et sujet politique.
Leslie Cloud (SOGIP-LAIOS), Bilan de la judiciarisation des droits des peuples autochtones au Chili depuis la ratification de la Convention 169 de l’OIT sur les droits des peuples autochtones et tribaux
Le Chili fait figure d’exception en Amérique Latine pour ne pas reconnaitre de droits aux peuples autochtones dans sa Constitution. Les politiques de développement des gouvernements successifs ont généré, ces dernières années, un recours accru aux tribunaux. Si le gouvernement de M. Bachelet a ratifié la Convention 169 de l’OIT, en 2008, la violation de ses dispositions par le droit national fait ressortir la responsabilité des tribunaux dans la mise en œuvre des droits pour les peuples autochtones du Chili. Nous présenterons une évaluation de quatre années d’intense judiciarisation des conflits, pour réfléchir sur le champ des droits des peuples autochtones au Chili. Si le bilan demeure mitigé en termes de quantité de recours en justice gagnés, on observe une évolution favorable pour certains litiges. Deux facteurs sont éclairants : l’apport des expertises anthropologiques et la valeur de l’argumentation présentée par les parties autochtones. Les tribunaux chiliens jouent de ce fait un rôle majeur quant à l’interprétation et la reconnaissance des droits des peuples autochtones au Chili.
Karine Rinaldi, (docteur en droit, U. de Nice, Centro por la Justicia y el Derecho Internacional), La reconnaissance des droits des peuples autochtones et tribaux par la Cour interaméricaine des droits de l’homme
Bien qu’aucun droit différencié au bénéfice des peuples autochtones et tribaux ne soit énoncé dans la Convention américaine relative aux droits de l’homme, la Cour interaméricaine procède, non pas à la création, ou à l’élaboration, de droits nouveaux, mais bien à la reconnaissance de droits inhérents à ces peuples, des droits qui existaient avant même la création des États actuels, et, par conséquent, avant l’ordre juridique national ou international que nous connaissons. Il convient d’analyser la dizaine d’arrêts interaméricains qui ont forgé cette jurisprudence, dont sept concernent directement le droit territorial, un droit central dans le contexte autochtone et tribal. Il s’agit, en ce sens, d’étudier la reconnaissance du droit de propriété traditionnelle ainsi que les garanties nécessaires à la mise en oeuvre de ce droit (droits à la revendication et à la restitution des territoires traditionnels, y compris par l’expropriation de propriétés individuelles – droits à la consultation et au consentement). Il est également intéressant de se pencher sur la construction progressive d’un droit à l’identité culturelle. Au-delà, il est important d’analyser les implications d’une telle jurisprudence : mise en oeuvre par les États de ces arrêts, élaboration de législations nationales conformes à ces droits, ou influence des arrêts interaméricains sur les prononcés d’autres organes de protection des droits de l’homme (Commission africaine, Comités des Nations Unies) et de tribunaux nationaux.
Geneviève Rose (IWGIA), Le Groupe de travail sur les populations/communautés autochtones de la Commission africaine sur les droits de l’homme et des peuples
L’intervention de Geneviève Rose se déroulera en français
In 2000 the African Commission on Human and Peoples’ Rights established a Working Group on Indigenous Populations/Communities (WGIP). Prior to this the African Commission had never before dealt with the issue of indigenous peoples’ rights. A few years later the WGIP presented to the African Commission a major report on the identification and situation of indigenous peoples and its relationship with the African Charter on Human and Peoples’ Rights, and in 2003 the African Commission adopted this report. Since then the African Commission has developed into a major regional platform for the promotion and protection of indigenous peoples’ rights in Africa via providing a space for indigenous representatives to meet and lobby African governments, conducting country missions, regional seminars and trainings, publishing reports and audiovisual material, issuing resolutions and urgent appeals and embarking on litigation on indigenous peoples’ rights. The situation of indigenous peoples in Africa remains very difficult with rampant and gross human rights violations, marginalization and dispossession. However, some interesting impact of the African Commission’s work can be noted in terms of increased recognition of indigenous peoples and their issues among some African governments, civil society and international institutions, and recent policy reform developments in Kenya provide some interesting examples of this.
Séance exceptionnelle du 9 avril : L’émergence d’une société civile autochtone au Québec et au Canada
Intervenantes :
Edith Cloutier, Directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or et Présidente du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec (RCAAQ) .
Carole Levesque , Professeure, Institut national de la recherche scientifique et Directrice de DIALOG-Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones
Résumé
Au Québec, un projet de transformation sociale et identitaire est en marche, porté par le mouvement des Centres d’amitié autochtones. Favorisant les relations transversales entre l’État et le citoyen plutôt que la confrontation, l’expérience autochtone urbaine traduit une conception ouverte du politique. Le but premier est de favoriser la réappropriation d’un droit de parole individuel et collectif, droit qui est encore brimé à l’extérieur et souvent même à l’intérieur des communautés. Une telle réappropriation nécessite cependant la construction préalable d’une vision renouvelée de la démocratie, une vision qui intègre autant des manières de faire spécifiques aux Autochtones que des mécanismes de régulation sociale qui soient davantage en phase avec le fonctionnement interne des sociétés autochtones, modernes et historiques. Le projet de société proposé ajoute au projet autonomiste autochtone de nouvelles dimensions et laisse place à de nouveaux acteurs.
Pour plus d’informations sur le réseau DIALOG, voir le site www.sogip.ehess.fr, rubrique Actualités.
Séance du 11 avril 2013 :
La place des autochtones et de leurs propositions dans la réflexion et la gestion locale / globale de l’environnement : Guyane, Equateur, Viet Nam/Pérou
Dans la continuité de la séance de février sur la relation entre « peuples autochtones » et « environnement », nous réfléchissons aux conditions de possibilité d’un agencement approprié entre institutions autochtones et gestion locale de l’environnement. Comment les expériences de gestion locale environnementale sont-elles connues, comprises ? Comment la participation des autochtones à la gestion des ressources, naturelles et culturelles, d’un territoire est-elle discutée, organisée ? Que peut-on tirer de certaines expériences de gestion environnementale par des peuples autochtones sous forme d’administration de parcs nationaux ou d’aires protégées ? Quel est l’impact de ces expériences au niveau régional ou international, et tout simplement dans la vie des populations concernées ?
Peter Bille Larsen (University of Oxford/ University of Lucerne) - La conservation communautaire et les droits autochtones : quelques pistes anthropologiques
Que peut-on tirer de certaines expériences d’administration autochtone de parcs nationaux ou d’aires protégées ? Les questions d’équité sociale dans le domaine de la conservation constitueront le centre de notre réflexion. Celle-ci reposera sur deux études de cas qui seront appréhendées dans une perspective comparative : un projet de co-gestion mené au Viet Nam dans les années 1990 et une enquête anthropologique réalisée plus récemment dans une réserve communale de l’Amazonie Péruvienne. À première vue, ces deux expériences reposent sur des catégories et des approches de gouvernance différentes, voire opposées. Cette communication propose une lecture anthropologique alternative pour entamer une lecture critique de la normativité récente dans le domaine de la conservation.
Stéphanie Guyon (SOGIP-LAIOS) & Gérard Collomb (IIAC/LAIOS), Enjeux environnementaux et chefs coutumiers : Appropriation et gestion des zones de droits d’usage sur le littoral guyanais.
A travers l’analyse de deux cas emblématiques (la controverse sur la protection des tortues marines et l’appropriation des zones de droit d’usage), cette intervention croisée portera sur les enjeux identitaires sous-jacents aux revendications amérindiennes sur l’environnement en Guyane. La Réserve naturelle de l’Amana a été créée en Guyane pour protéger les tortues marines que les biologistes estiment aujourd’hui menacées, notamment par le prélèvement des œufs par les villageois kali’na. L’interdiction de ce prélèvement a suscité la revendication d’un droit au libre ramassage des œufs, appuyée sur la référence à des pratiques ancestrales. Mais, derrière cet enjeu, Amérindiens et conservationnistes s’efforcent avant tout d’imposer un « point de vue » : les uns, pour interdire toute prédation humaine sur un animal au fort potentiel symbolique, selon une lecture occidentale/globale de la nature, les autres pour faire reconnaître une identité et une territorialité. A travers cette controverse, prétexte plus qu’enjeu véritable, chaque partie s’efforce d’installer sa lecture du monde dans un champ de légitimité (Gérard Collomb). Dans le cadre du décret d’avril 1987, les Amérindiens de Guyane française ont dans certaines conditions pu obtenir des Zones de Droits d’Usage Collectifs. Initialement prévues par leurs concepteurs pour favoriser les activités de subsistance et d’auto-alimentation des Amérindiens (pêche, chasse et cueillette), les ZDUC, dans le contexte du littoral guyanais, n’ont pas nécessairement une importance économique majeure pour leurs bénéficiaires dont beaucoup ont une activité salariée. En revanche, l’appropriation des ZDUC s’inscrit dans les stratégies de reconnaissance des collectifs autochtones. A travers l’exemple de la gestion et de la mise en valeur de la ZDUC du village lokono de Balaté, nous verrons que la référence à une « terre » collective et les sociabilités familiales entretenues sur la zone constituent un enjeu majeur dans la stratégie d’affirmation d’une identité lokono. (Stéphanie Guyon).
Irène Bellier (IIAC/LAIOS) - Retour sur Rio+20
Commentaires par Martin Préaud (SOGIP-LAIOS)
Séance du 15 mai
Séance spéciale du séminaire SOGIP « Généalogie du concept de peuple kanak en Kanaky/Nouvelle-Calédonie »
Conférence d’Hamid Mokkadem professeur agrégé de philosophie, membre du laboratoire de l’Université de la Nouvelle-Calédonie, Centre des nouvelles études du Pacifique (Cnep).
En droit, les concepts de peuple sont délimités par des normes et des définitions en apparence claires. En politique, les concepts ont un usage flexible et variable en fonction des stratégies et des logiques des calculs d’intérêts par les acteurs intéressés (« agency »). Les recours par les groupes (peuples et/ou communautés) aux concepts méritent une analyse soutenue mobilisant des éléments politiques, historiques et anthropologiques. Nous proposons d’exposer un de ces enjeux cadrés dans un contexte et un dispositif en cours à partir de l’étude que nous appellerons « généalogie du concept de peuple kanak ». Le peuple kanak est le peuple « indigène », « autochtone », de la Nouvelle-Calédonie qui revendique une souveraineté dénommée par lui « Kanaky ». Notre propos se limitera à une description voulant situer l’apparition des mots « peuple kanak » dans le contexte dit des « événements » (1984-1988). Depuis les deux traités politiques successifs dont le dernier est en cours, une partie du peuple kanak mesurant les enjeux économiques miniers, réhabilite le concept de « peuple autochtone » pour jouir des droits collectifs. Le dispositif de l’Accord de Nouméa reconnait l’existence du peuple kanak et organise une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie distincte de la citoyenneté/nationalité française pouvant, sous certaines conditions politiques et juridiques, se transformer en nationalité de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce dispositif, une analyse généalogique de certains concepts n’est pas inutile pour mesurer et évaluer ces télescopages des concepts de « peuple kanak » et de « peuple autochtone ».
Hamid Mokaddem, professeur agrégé de philosophie à l’institut de formation des maîtres de Nouvelle-Calédonie (ifm.nc), chargé de cours en anthropologie à l’Université de la Nouvelle-Calédonie et membre du laboratoire de l’Université de la Nouvelle-Calédonie, Centre des nouvelles études du Pacifique (Cnep). Il est auteur de Jean-Marie Tjibaou (1936-1989). Ce souffle venu des ancêtres, Expressions-Karthala, 2005 et Le discours politique kanak (Jean-Marie Tjibaou, Roch Déo Pidjot, Eloi Machoro, Raphaël Pidjot), Nouvelle-Calédonie, Province Nord, 2010.
Séminaire coordonné par :
Irène Bellier, Directrice de Recherche au CNRS, LAIOS-IIAC et Laurent Lacroix, postdoctorant LAIOS-SOGIP.
Mots-clés : Anthropologie, Coloniales (études), Comparatisme, Développement, Développement durable, Droit, normes et société, État et politiques publiques, Histoire, Politique,
Aires culturelles : Afrique, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Amériques, Asie centrale, Asie méridionale, Asie orientale, Asie sud-orientale, Contemporain (anthropologie du, monde), Europe, Europe centrale et orientale, Europe sud-orientale, Inde, Océanie, Russie, Transnational/transfrontières,
Intitulés généraux :
Centre : IIAC-LAIOS - Laboratoire d’anthropologie des institutions et organisations sociales
Renseignements : Laurent Lacroix, 190-198 av de France 75013 Paris, tél. : 01 49 54 21 92, ou Irène Bellier.
Direction de travaux d’étudiants : sur rendez-vous.
Réception : secrétariat du LAIOS.
Niveau requis : master, doctorat, nécessité d’un projet écrit.
Site web : http://www.sogip.ehess.fr/
Site web : http://www.iiac.cnrs.fr/laios
Adresse(s) électronique(s) de contact : laurent.lacroix(at)ehess.fr, ibellier(at)ehess.fr